Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/276

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Bériot que je parle ! répond Lablache, lui seul peut décider. Il est en scène, il joue, je vais le chercher ! » Lablache se précipite dans les coulisses. Bériot venait d’attaquer l’allégro de son air varié, il exécutait, au milieu des acclamations de la salle, ces pizzicatos, ces arpèges, ces vocalises de l’archet, qui faisaient de lui le plus gracieux, le plus élégant, le plus coquet des grands artistes.

Lablache frémissait d’impatience sur le seuil de la coulisse ! Exaspéré par le contraste affreux de ces jolies virtuosités du violon avec la terrible scène du foyer, il piétinait sur place, tendant les mains vers Bériot, l’appelait tout bas, mais sa voix se perdait dans les cris d’enthousiasme de la salle. Enfin, le morceau est fini ; Lablache va pour s’élancer… Mais on a demandé bis… et l’allégro recommence… Et cinq minutes s’écoulent encore, jusqu’à ce qu’enfin, Bériot étant sorti de la scène, Lablache le prend, l’entraîne, l’emporte et entre avec lui au foyer. Que voient-ils ? La Malibran assise sur un grand fauteuil, les deux bras nus et pendants, les yeux fixes et vitreux, le visage blanc comme du marbre et les deux veines ouvertes ! Le sang qui coulait lentement le long de ses bras la faisait ressembler à une victime. Trente-six heures après, il ne restait plus de Maria Malibran qu’un nom.