Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/277

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XI

Et maintenant, disons avec Musset :


Meurs donc ! ta mort est douce et ta tâche est remplie.


Il a raison, elle a bien fait de mourir ! Que lui réservait la vie ? Rien que des douleurs. Une actrice peut vieillir ; son talent ne se flétrit pas avec son visage. L’âge le renouvelle en la métamorphosant. Sa vie théâtrale n’est qu’une succession de transformations heureuses. Elle passe, dans ses rôles, des ingénues aux jeunes filles, des jeunes filles aux femmes, des femmes aux mères, des mères aux aïeules, et il y a place pour le succès et l’art dans chacun de ces changements ; le talent de l’actrice peut avoir des cheveux blancs. Mais la cantatrice est condamnée à la jeunesse ! A peine entrée dans la maturité, elle ressemble à ces arbres en pleine verdure, qui portent à leur cime une branche flétrie. Sa voix meurt en elle, bien longtemps avant elle. Quel supplice ! Se sentir ainsi attachée toute vivante à un cadavre ! Être jeune de corps, jeune de visage, jeune d’intelligence, jeune de talent, jeune de cœur, et traîner après soi, comme un boulet, cet organe qui se détruit, cet instrument qui se brise, ce son qui vous trahit. Les voix de pur cristal, comme l’Alboni, la Sontag, Mme Damoreau, pour ne citer que les noms disparus,