Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

milieu d’une effroyable crise elle s’écrie : « Allez chercher Rubini ! Allez chercher Rubini ! Qu’il chante dans la chambre à côté, l’air de la Somnambule, et je suis sûre que je cesserai un moment de souffrir ! »

« Ah ! monsieur, me dit Rubini, quand je lui racontai ce mot, pourquoi n’est-on pas venu me chercher ?

— Parce qu’elle n’aurait pas pu vous entendre. Deux heures après elle était morte. »

Ce fait en dit plus que beaucoup de paroles. C’était bien l’âge d’or de la musique italienne ! Dans le ciel de l’art, brillaient à la fois, différents de grandeur et de lumière, Cimarosa au couchant, Rossini au zénith, Bellini au levant, et un si rare assemblage de compositeurs et d’interprètes, avait créé un public dont les salles de théâtre d’aujourd’hui ne nous offrent pas l’analogue.

L’Opéra compte un grand nombre d’abonnés, mais que sont ces abonnés ? Des gens riches. Où vont-ils ? Dans les loges, aux fauteuils d’orchestre. A quelle heure arrivent-ils ? A tous les moments de la représentation, sauf au commencement. Il y a tel abonné qui n’a jamais entendu l’ouverture de Guillaume Tell. Que viennent-ils faire ? Voir, se faire voir, écouter un acte, causer dans les entr’actes, applaudir un air, acclamer un pas de danse ; mais combien y en a-t-il parmi eux qui entendent la première mesure d’un opéra et ne partent qu’après la dernière ?

Au théâtre Italien, de 1829 à 1831, une soixantaine d’hommes, différents d’âges, de professions, avocats, magistrats, écrivains, formaient au milieu du parterre,