Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/300

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— Qu’elle a une âme délicate comme les personnages qu’elle représente.

— Oui, c’est vrai !… Oh ! délicate, c’est bien le mot.

— Et si vous aviez été digne d’elle, ou pour mieux dire, digne de vous, au lieu de lui jeter violemment cette joie au visage, vous l’auriez posée doucement sur sa souffrance comme un baume. Votre divin Shakespeare n’y eût pas manqué, lui, s’il eût eu cette scène à faire.

— Vous avez raison ! Vous avez raison ! s’écria alors le pauvre garçon. Je suis un brutal ! je suis un sauvage ! Je ne mérite pas d’être aimé d’un tel cœur ! Si vous saviez tout ce qu’il y a en elle de trésors d’affection… Oh ! comme je lui demanderai pardon demain ! Mais voyez donc, mes amis, si j’ai bien fait de vous consulter !… Je suis arrivé désespéré, exaspéré, et me voilà confiant, heureux, riant ! »

Et soudain, avec la naïveté d’un enfant, avec la mobilité d’un enfant, il se lançait dans la joie de son mariage prochain. Ce que voyant, j’ajoutai :

« Eh bien, célébrons le mariage tout de suite. Faisons de la musique. »

Il accepte avec enthousiasme. Mais comment faire de la musique ? Je n’avais pas de piano dans mon ménage de garçon, et en eussé-je eu un, à quoi m’eût-il servi ? Berlioz ne jouait que d’un doigt. Heureusement, il nous restait une ressource triomphante, la guitare. La guitare résumait pour lui tous les instruments, et il en jouait très bien. Il la prit donc et se mit à chanter. Quoi ? des boléros, des airs de danse, des mélodies ? Du tout. Le finale du second acte de la Vestale !