Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/301

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Le grand prêtre, les vestales, Julia, il chantait tout, tous les personnages, toutes les parties ! Malheureusement, il n’avait pas de voix. Qu’importe, il s’en faisait une ! Grâce au système de chant à bouche fermée qu’il pratiquait avec une habileté extraordinaire, grâce à la passion et au génie musical qui l’animaient tout entier, il tirait de sa poitrine, de son gosier et de sa guitare, des sons inconnus, des plaintes pénétrantes, qui, mêlées çà et là de paroles d’admiration, d’interruptions d’enthousiasme, voire même de commentaires éloquents, produisaient un effet d’ensemble si extraordinaire, un si incroyable tourbillon de verve et de passion, qu’aucune exécution de ce chef-d’œuvre, même au Conservatoire, ne m’a autant ému, autant transporté que ce chanteur sans voix avec sa guitare.

Après la Vestale, venait quelque morceau de sa symphonie fantastique.

C’était sa première grande création. Elle n’avait été exécutée qu’une fois encore en public et j’avais écrit sur l’œuvre et sur l’auteur un article plein d’espérance enthousiaste. Enfin, à la suite de tous ces chants, et comme emportés par eux, nous nous lancions tous les trois dans nos idées d’avenir. Eugène Sue nous racontait ses plans de romans ; moi, mes projets dramatique, Berlioz ses rêves d’opéra. Nous lui cherchions des sujets, nous lui bâtissions un scénario sur les Brigands de Schiller qu’il adorait, et nous nous séparions à quatre heures du matin, enivrés de poésie, de musique, frissonnant de la belle fièvre de l’art ; et, le lendemain, miss Smithson voyait arriver chez elle,