Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/31

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Je sens qu’un mot amer, qui va me soulager,
En suspens sur ma langue est prêt à me venger !
Je me maudis ! J’ai tort ! C’est faiblesse ou délire !
C’est ce qu’il vous plaira… Je souffre !… et je désire,
Non pas que votre amour, mais que votre amitié,
Connaissant mon supplice, en ait quelque pitié.


Eh bien, de ces deux passages, lequel est le plus beau ? J’oserai dire qu’ici Casimir Delavigne ne le cède en rien à Victor Hugo. S’il n’a pas trouvé un vers de haute envolée, comme :


Ait oublié le corps en rajeunissant l’âme !


le morceau tout entier, dans son élégance soutenue, n’a pas moins de vérité que les vers brisés et recherchant le naturel, de Victor Hugo ; j’y trouve même un accent d’émotion, de sincérité qui va peut-être plus au cœur que les regrets un peu dolents de don Gomez. Talma était inimitable dans cette tirade de Danville. Qui l’y a vu, ne l’oubliera jamais ! J’entends encore, à soixante ans de distance, ce mot : Je souffre ! Les derniers vers s’écoulaient de ses lèvres avec un tel charme de tendresse, d’abandon, qu’on ne pouvait se défendre de l’adorer. On se disait que si ce vieillard n’était pas aimé, c’est que la vieillesse était un vice irrémédiable en amour, et ainsi l’idée du poète se trouvait mise dans sa pleine lumière, grâce à l’acteur.

Talma fit plus. Il releva la pièce, il la sauva peut-être au quatrième acte. Ce quatrième acte offrait un réel danger. Dans ce temps-là, un jeune homme entrant chez une jeune femme à minuit, et lui faisant