Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une déclaration, c’était une grande hardiesse. L’auteur tremblait, et il avait raison. En effet, à l’entrée du duc, l’auditoire avait été comme saisi d’un de ces silences menaçants que nous connaissons tout : heureusement pour l’auteur, ses deux interprètes n’avaient pas peur de la lutte ; c’étaient Mlle Mars et Armand.

Mlle mars avait un don très particulier que je n’ai connu qu’à elle. Quoique sa voix manquât de puissance, elle est arrivée dans le drame moderne à des effets que nulle artiste après elle, n’a ni effacés ni peut-être égalés. Comment ? Le voici.

Elle choisissait dans la scène capitale, le mot, la phrase, qui la résumait le mieux ; puis elle concentrait sur ce mot toute sa puissance vocale, toute son intensité d’expression, comme avec un verre de lentille on fait converger tous les rayons sur un seul point ; elle en illuminait la situation tout entière ! Ce n’est pas qu’à la façon de certains artistes elle déblayât un rôle pour n’en faire valoir que quelques passages, l’école du déblayage n’existait pas encore. Mlle Mars ne négligeait rien et mettait chaque partie à sa place et à son juste degré de lumière, mais, sur ce fond harmonieux et clair, elle détachait quelques traits de flamme qui faisaient éblouissement. C’est ainsi que, dans Mademoiselle de Belle-Isle, le fameux : « Vous mentez, monsieur le duc ! » dans Clotilde : « Parce qu’il a tué Raphaël Bazas »  ; dans Hernani :

 
Enfin on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu’elle a dans le cœur !…