Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/381

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que l’auteur du Joueur et de Richard Darlington. Quant à Camille Pleyel…

« Était-ce Pleyel, le facteur de pianos ?

— Précisément, et dites-vous que jamais instrument de musique ne sortit de ses ateliers, résonnant plus harmonieusement que son âme. Il avait toutes les séductions qu’on admire chez les artistes et toutes les générosités qu’on leur suppose. Pianiste de premier ordre, élève de Steibelt, il tenait de lui la tradition, le style des maîtres. Chopin disait souvent : « Il n’y plus aujourd’hui qu’un homme qui sache jouer Mozart, c’est Pleyel, et quand il veut bien exécuter avec moi une sonate à quatre mains, je prends une leçon. »

Comme je vous l’ai dit, Eugène Sue avait un goût naturel pour la musique ; ce que voyant, Pleyel s’imagina de faire fabriquer quelques clochettes de sonorités différentes et harmoniques, qui, attachées au cou de quatre vaches paissant dans les landes de Sologne, donnaient au promeneur l’agréable sensation de l’accord parfait. La conversation de Pleyel abondait en souvenirs intéressants sur les grands musiciens. Il avait entendu improviser Beethoven ! Le fait est curieux, et comme nous ne sommes pas des auteurs dramatiques, et que la digression nous est permise, vous me pardonnerez ce court récit : Un jour, à Vienne, on annonce un grand concert et, pour couronner le concert, une improvisation de Beethoven. Pleyel y court avec son père ; le maître arrive, s’assied au piano, prélude par quelques notes insignifiantes, ébauche quelques accords, les interrompt, en essaye d’autres qu’il abandonne aussi, puis tout à