Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/425

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l’instituteur : la science, le talent pédagogique, l’amour des enfants, l’art de gouverner la jeunesse ; c’était un maître sans pareil ; seulement, il n’y eut jamais, qu’on me pardonne ce mot trivial, mais sans synonyme, il n’y eut jamais un plus détestable « marchand de soupe ». Ses défauts et ses qualités le rendaient également incapable de ce rôle. Trois conditions y sont indispensables : 1° l’ordre ; il était trop gêné pour être ordonné. 2° l’économie ; il était trop généreux pour être économe. 3° l’autorité ; il était trop esclave des échéances pour être maître chez lui. Un fait douloureux et charmant va nous le montrer aux prises avec son effroyable servitude, et s’en tirant, comme toujours, par son irrésistible séduction. Un jour deux élèves entrent dans son cabinet, ils versaient des larmes de rage et de douleur… Un maître les avait violemment battus. Goubaux, indigné, leur demande quel est ce brutal, pour le chasser immédiatement et honteusement. Ils nomment le préfet des études. A ce nom, Goubaux pâlit, se tait un moment, et, d’une voix contenue, où se trahissait un mélange d’irritation et d’embarras :

« C’est bien, dit-il, allez, je lui parlerai. »

Pourquoi ce changement de ton ? Pourquoi cette sorte d’apaisement subit ? Pourquoi cet embarras ? Pourquoi ? Parce que cet homme était son créancier, parce que cet homme lui avait prêté, dans un moment de crise, une somme considérable, à la condition d’entrer dans la maison comme préfet des études. Et Goubaux n’avait pas le droit de le chasser ! Et Goubaux était forcé d’étouffer son indignation, sa bonté, son esprit de justice,