Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/427

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que moi, moi, un jour où ma mère irritée voulait me retirer de la pension, je m’y refusai absolument, lui répondant : « Cela ferait trop de peine à M. Goubaux. » Combien de fois, au plus fort de nos mécontentements, toutes nos velléités de révolte sont-elles tombées en le voyant entrer dans la classe, et venir faire la leçon à la place du professeur. Il parlait si bien ! Il avait une si jolie voix ! Tout ce qu’il disait vous allait si droit au cœur et à l’esprit ! Il nous faisait à son gré rire, pleurer, penser. Et, lui parti, nous en avions pour huit jours à ne plus faire attention ni aux mauvais repas ni aux mauvais maîtres. Ajoutez que nous étions très fiers de ses succès dramatiques. Le jour de ses premières représentations, nous étions toujours une demi-douzaine sur le champ de bataille ; nous applaudissions avec frénésie. Son triomphe nous semblait un peu le nôtre. Que vous dirai-je ? Aujourd’hui, à plus de quarante ans de distance, je ne puis parler de M. Goubaux sans émotions, et je vais vous citer un fait qui vous prouvera encore mieux son universel ascendant. Sa fille aînée avait vingt ans et pas de dot. Un professeur distingué et assez riche la demande en mariage. Pourquoi ? Par affection pour elle ? Sans doute, mais surtout par adoration pour Goubaux. Il épousa la fille pour pouvoir l’appeler mon beau-père. »

Nous voici amenés par les paroles de M. Cottinet à l’autre profession de Goubaux, à son second moi, qui faisait si bon ménage avec le premier. Je l’appelais en riant maître Jacques. Il commença souvent une scène de drame sur une feuille de papier, où se lisait en tête : Pension