Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/449

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Je ne puis mieux répondre que par le court récit d’une collaboration en action.

J’étais marié depuis trois ans, et je rêvais toujours à la revanche de ma chute. Un matin à déjeuner, ma femme, me parlant de ses compagnes de pension, prononça le nom de Clélie. « Clélie ! m’écriai-je en riant. D’où lui vient ce nom ? Était-ce une jeune Romaine ? ― D’origine, non, mais de figure et de cœur. Belle, grande, brune, avec un profil de médaille antique, et de grands yeux, pleins à la fois de douceur et de vaillance ; Clélie joignait à ces qualités d’énergie, une certaine tournure d’esprit railleuse, qui se montra au vif dans une circonstance assez singulière. ― Contez-moi cela. lui dis-je. ― L’histoire vaut d’être contée. Mariée depuis quatre ans avec un créole passionnément épris d’elle, Clélie occupait une jolie maison de campagne, à Vineuil, près de Chantilly. Le vieux prince de Bourbon vivait encore, et ses brillantes chasses étaient une des gloires du pays. Un jour, le cerf ayant sauté par-dessus la haie du jardin de Clélie, la meute, les piqueurs, une partie de la chasse, sautèrent à leur tour et mirent en action la fable de La Fontaine. Le lendemain, Clélie, qui était seule chez elle à la campagne, écrivit au prince une lettre à la fois très mesurée et très ferme, se plaignant du désordre de la veille, et exprimant le désir formel qu’il ne se renouvelât pas. Huit jours après, nouvelle chasse et nouvelle invasion domiciliaire. Clélie était dans son petit salon, occupée d’un travail de broderie, quand on vint l’avertir que le cerf avait sauté dans le jardin, que les chiens l’y avaient suivi, et que