Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il le découvrit et vint demander conseil à son ami. « Vous n’avez qu’une chose à faire, lui répondit M. Leroux, tuer l’amant et chasser la femme. ― L’amant est parti. ― La femme reste, chassez-la. » Mais M. Delacour était amoureux comme un fou ; la femme pleurait, priait, se repentait ; le mari inclinait à la clémence. Seul, M. Leroux était inflexible. « Si vous lui pardonnez aujourd’hui, elle recommencera demain. Moi, je la chasserais. » A deux ou trois jours de là, sortant du cabinet de son ami, il trouva dans la première pièce la jeune femme qui l’attendait. « Je désirerais vous parler, monsieur, lui dit-elle. ― Je suis à vos ordres, madame. » Ils entrent dans un petit salon. A peine la porte fermée, elle va droit à lui, et lui dit : « Pourquoi vous acharnez-vous après moi, monsieur ? que vous ai-je fait ? ― Ce que vous m’avez fait ?… reprit-il, tout tremblant de colère… Vous m’avez fait le mal que vous lui avez fait à lui. Pourquoi je m’acharne contre vous ? Parce que je vous hais et que je vous méprise comme la plus misérable des créatures, parce que, pour avoir trompé un homme qui vous a prise dans la pauvreté, presque dans la misère, et qui vous a aimée à la fois comme un frère, comme un père et comme un amant, qui est un des plus grands cœurs que je connaisse, qui a toutes les délicatesses d’une femme et toutes les énergies d’un homme, pour avoir eu le courage de donner un coup de poignard à un si bon être, il faut n’avoir ni cœur ni entrailles… C’est par pitié pour lui, c’est par tendresse pour lui et par horreur pour vous, que je vous poursuis. Adieu, madame. » Et il partit.