Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/468

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Nous voilà bien loin, ce semble, de notre pauvre pièce de théâtre. Non ! nous y sommes.

C’était à la lecture de la lettre de Leroux, retrouvée par hasard, que toute cette tragique histoire m’était remontée au cœur. Elle me poursuivit la journée entière. Vers le soir, par un de ces phénomènes d’imagination habituels aux écrivains de théâtre, ce drame réel se mêla peu à peu dans mon esprit au drame fictif dont je poursuivais le dénouement. Un des trois personnages se détacha des deux autres pour entrer dans le groupe de mes acteurs. Ce personnage fut le colonel. Sa réponse : Non, monsieur, je ne me battrai pas, me frappa tout à coup comme le résumé d’un caractère, comme le germe d’un rôle, comme le point de départ d’une situation nouvelle, propre à fournir deux actes. Tout plein de mon idée, je courus chez Goubaux. Il était absent, il montait sa garde au ministère des finances. J’y vais, je le trouve faisant sa faction. Je lui conte ma trouvaille : « Admirable ! me dit-il. ― Eh bien, travaillons, tout de suite, repris-je. ― Je ne peux pas : il faut que j’écarte les chiens et que je réponde aux gens qui se présentent. ― Qu’est-ce que ça fait ? ça ne sera que plus amusant. » Et nous voilà tous les deux, lui son fusil sur l’épaule, moi marchant à côté de lui sur le trottoir, et ébauchant le plan de notre acte, le tout entremêlé des : on ne passe pas, du factionnaire.