Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/473

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Ce ravissant morceau, dans la bouche de Delaunay, étincelait comme un miroir à alouettes au soleil. Autant de vers, autant de facettes. Pas une intention, pas une nuance, pas une délicatesse, qui ne fût mise en relief et en lumière. Firmin, ne détaillait rien, n’accentuait rien, il emportait tout dans un mouvement qui ressemblait à un frémissement d’ailes, c’était un vol d’abeilles.

Firmin était célèbre dans les déclarations d’amour. Aucun acteur ne se jetait à genoux devant une femme avec autant de passion. Aujourd’hui, on ne se jette plus à genoux. Je crois bien être le dernier auteur dramatique qui se soit permis d’introduire cette pantomime dans une comédie. Bressant, dans Par droit de conquête, en faisant son aveu à Mme Madeleine Brohan, y joignait un agenouillement plein de grâce de feu. Quand M. Febvre reprit le rôle quelques années plus tard, il me déclara qu’il lui était impossible d’imiter Bressant, qu’il ne savait pas faire cela, qu’il s’y sentirait ridicule, et il avait raison. Le goût avait changé. Se jeter aux genoux d’une femme, baiser la main d’une femme, adresser un compliment à une femme, datait de l’époque où l’amour était accompagné de respect, et où la galanterie se mêlait à ce qu’on appelle faire la cour. Essayez donc, à présent, de faire au théâtre ce qu’on appelait autrefois une déclaration. Le public éclatera de rire, et la jeune femme aussi. Pour réussir, il faut la piquer au jeu, voire même la brutaliser un peu. Si on avait proposé une pareille scène à Firmin, il aurait répondu comme M. Febre : Je ne sais pas faire cela.