Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/472

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vibrer vos nerfs comme des cordes de harpe. Si passionné que fût Delaunay, Firmin avait quelque chose de plus endiablé, et avec cela, léger comme un oiseau. Voici quelques vers du Misanthrope où je les ai entendus tous deux, où ils m’ont ravi tous deux, et où leurs deux talents se sont montrés à moi avec toutes leurs ressemblances, et tous leurs contrastes. C’est le couplet du marquis au commencement du troisième acte. J’ai besoin de citer les vers pour expliquer mon idée.

 
Parbleu ! Je ne vois pas, lorsque je m’examine,
Où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine.
J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison
Qui peut se dire noble avec quelque raison ;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu’il est fort peu d’emplois dont je ne sois en passe.
Pour le cœur, dont surtout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n’en manque pas ;
Et l’on m’a vu pousser, dans le monde, une affaire
D’une assez vigoureuse et gaillarde manière.
Pour de l’esprit, j’en ai, sans doute, et du bon goût,
A juger sans étude et raisonner de tout ;
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs du théâtre,
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des ahs !
Je suis assez adroit ; j’ai bon air, bonne mine,
Les dents belles surtout, et la taille fort fine.
Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
Qu’on serait mal venu de me le disputer.
Je me vois dans l’estime autant qu’on y puisse être ;
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître ;
Je crois qu’avec cela, mon cher marquis, je croi
Qu’on peut, par tout pays, être content de soi.