Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/48

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toutes les voitures qui se croisaient, et, soutenu par ses deux frères, très occupés, eux aussi, à l’empêcher de se laisser écraser ; avec cela, l’âme courageuse, généreuse, enthousiaste, vibrant d’émotion pour les héroïsmes de toute sorte.

S’il vivait de notre temps, un seul de ses succès d’autrefois suffirait à le rendre riche ; vingt ans de triomphe lui assurèrent à peine une modique aisance et de quoi acheter, à la fin de sa vie, une petite maison de campagne dans sa chère Normandie, La Madeleine, où il espérait mourir et qu’il fut forcé de revendre peu d’années après. Pour se consoler de l’avoir perdue, il allait s’asseoir… Mais j’aime mieux le laisser parler lui-même, en citant quatre strophes de cette élégie charmante qui fut une de ses dernières œuvres :

 
Adieu, Madeleine chérie,
Qui te réfléchis dans les eaux
Comme une fleur de la prairie
Se mire au cristal des ruisseaux
Ta colline, où j’ai vu paraître
Un beau jour qui s’est éclipsé,
J’ai rêvé que j’en étais maître.
Adieu, ce doux rêve est passé.

Assis sur la rive opposée,
Je te vois, lorsque le soleil
Sur les gazons boit la rosée,
Sourire encore à ton réveil.
Doux trésors de ma moisson mûre,
De vos épis un autre est roi !
Tilleuls dont j’aimais le murmure,
Vous n’aurez plus d’ombre pour moi.