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boutons de porte, ses garnitures de cheminée, ses meubles, sont faits sur modèles fournis par lui et exécutés pour lui. Il a imaginé de petits instruments pour manger les asperges sans les toucher, et cueillir les feuilles d’artichaut sans se salir les doigts. Sur sa table de nuit, se voit un pupitre en acier qui, grâce à un ingénieux déploiement de branches entrecroisées, lui apporte son livre dans son lit, devant ses yeux, sans qu’il ait la peine de tourner la tête ; ce que voyant, un de ses plus chers amis, le marquis de Parny (car il a des marquis pour amis, ce farouche radical), lui disant : « Victor, il manque quelque chose à votre pupitre, vous devriez lui apprendre à aller chercher les volumes dans la bibliothèque. »

Mais voici un trait qui fait de lui un collectionneur absolument à part. Sa bibliothèque est admirable, elle contient plus de douze mille livres de choix. Aux livres, il a ajouté une multitude de curiosités, de costumes, de bronzes. Pendant ses vingt ans d’exil à Londres, il a réuni une collection complète des œuvres de Haendel, et enfin il a ramassé, acheté un ensemble de neuf mille gravures, par neuf mille graveurs différents ! Eh bien, toutes ces richesses ont disparu de chez lui. Comment ? par un vol ? par un incendie ? Non. Par sa volonté. Tous ces objets d’art acquis avec tant de peine, classés avec tant de soin, regardés sans cesse avec tant de joie, il s’en est dépouillé lui-même ; il les a donnés, non pas légués, donnés de son vivant : il a envoyé ses livres à la Martinique, ses collections à la Guadeloupe, ses gravures à l’école des Beaux-Arts, les