Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/534

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L’hostilité serait inévitable et me serait insupportable, je serais malheureux et vaincu. ― Vaincu ! ― Oui ! oui ! Duprez a sur moi un avantage immense, il est nouveau. Moi, le public de Paris me sait par cœur. Si je ne pars pas aujourd’hui, on m’évincerait demain. Rien que d’y penser, j’en rougis. Je m’en vais ! »


II

Avait-il raison ? N’y avait-il pas place pour son rival et pour lui ? Ici se présente une question d’art, fort délicate, et dont l’étude peut, je crois, offrir quelque intérêt. Il y avait au Théâtre-Italien un vieux bouffe, nommé Barilli, dont la femme était cette délicieuse Mme Barilli, qui mourut à vingt ans et dont la voix a laissé dans l’oreille et dans le cœur de tous ceux qui l’ont entendue, une vibration céleste. Quelque temps après sa mort, débuta au Théâtre-Italien une jeune fille, presque une fillette, qui, du premier jour, étonna et enchanta tous les amateurs, par un charme et une souplesse d’organe pour qui tout était possible et facile. C’était Mlle Cinti, devenue Mme Damoreau. Barilli, désolé, l’appelait et lui disait : « Viens, petite, et chante-moi comme la Catalani ! » Il détestait la Catalani qui avait contre-balancé le succès de Mme Barilli, et était ravi de voir faire la charge de la rivale de sa femme.