Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/536

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toutes les fougues, toutes les langueurs, toutes les ivresses, tous les abattements, tous les soubressauts, elle en avait, si je puis parler ainsi, les deux âges ! Encore enfant, déjà jeune homme ! Le cœur alors ressemble à la voix, il mue ; et la Malibran, avec son extraordinaire mélange des notes graves du contralto et des notes brillantes du soprano, rendait à merveille, par le contraste des sonorités, le contraste des sensations de Chérubin.

Or, laquelle, de Mme Malibran ou de Mme Carvalho, interprétait le mieux la pensée de Mozart ? L’une et l’autre, car chacune reflétait un des côtés du chef-d’œuvre. J’appliquerais volontiers au Génie, ce beau vers de Lamartine en parlant de Dieu :


Son sein est assez grand pour nous tous contenir.


Nourrit et Duprez nous en offrent une preuve frappante.

J’ai vu le début de Duprez dans Guillaume Tell. Eh bien, l’adagio du duo du second acte changeait absolument de caractère en changeant d’interprète. Nourrit qui, remarquez-le bien, avait été dirigé par Rossini, faisait de cet adagio un nocturne. Il murmurait, il soupirait mezza roce ce chant de tendresse. C’était le charme d’un effet de crépuscule. Vient Duprez. Que fait-il ? il élargit le mouvement ! il élargit l’accent ! il élève le son ! il étoffe la voix ! La belle phrase : Ah !quel transport ! devient dans sa bouche un puissant effet de passion. Qui avait raison ? Tous les deux. Qui enthousiasmait le plus le public ? Tous les deux, ils arrivaient au