Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/545

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Une révolution à Naples !… jamais ! » Désespéré, il prie Donizetti de lui composer un opéra dont il lui propose le sujet et dont il lui indique les principales situations : Polyeucte. Donizetti écrit l’opéra, Nourrit en est enchanté ; mais, au premier mot qui lui en est dit, la Censure refuse encore. Nourrit fait appel au Roi, il obtient de lui une audience, il lui expose que l’opéra de Polyeucte est le triomphe de la foi. « Polyeucte est un saint, dit le Roi. Soit ! les saints sont bien dans le calendrier, on ne doit pas les mettre sur la scène. » Voilà donc l’artiste à la veille de débuter, et sans pièce de début. Ce cas de force majeure le déliait de son engagement, son intérêt lui conseillait de le rompre, tous ses amis l’y poussaient vivement. « Barbaja, répondit-il, a compté sur moi pour sa saison. Mon absence le mettrait dans un très grand embarras. Après tout, ce n’est pas sa faute, à cet homme. Je reste. » Et il resta. Il paya cruellement cette chevaleresque probité. Les jours sombres commencèrent alors pour lui. Mme Nourrit était venue le rejoindre ; elle ne put qu’assister, sans pouvoir le retarder d’un instant, au dernier acte de cette vie si belle. La Norma, de Bellini, et Il Giuramento, de Mercadante, valurent à Nourrit quelques soirées triomphales. Mais sa femme constata avec douleur les désastreux effets des leçons de Donizetti : elle ne reconnaissait plus la voix de son mari. « Peut-être, a-t-il acquis plus d’énergie, d’accent dans certains passages, écrivait-elle ; mais ses qualités propres, ses qualités de charme, de mélancolie, de tendresse, de demi-teinte, tout cela a disparu. » Nourrit ne tarda pas lui-même à