Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans la salle un murmure général de satisfaction et d’émotion. Soyez heureux de ces détails, mon cher enfant, car c’est à votre père que s’adressait toute cette sympathie. Ils vous montrent quelle trace il a laissée parmi nous. Oh ! grâce à lui, vous entrez dans la vie par une belle porte… Vous êtes un souvenir et une espérance. » Ma foi ! là-dessus, je lui sautai au cou. « C’est bien ! c’est bien ! me dit-il en m’embrassant à son tour, mais il s’agit maintenant de penser à la séance publique. C’est votre première… Première représentation ! Il nous faut absolument un succès. » Il s’arrêta un moment comme quelqu’un qui réfléchit ; puis tout à coup : « Tenez, faisons une épreuve ! Voici votre manuscrit : je l’ai emporté parce que c’est moi qui vous lirai à la séance. Eh bien, regardons-le ensemble. Je connais le public, et je sais un peu mon métier de lecteur ; en cinq minutes, nous saurons à quoi nous en tenir. »

Il prit alors ma pièce de vers, il la parcourut de l’œil et du doigt, s’arrêtant de temps en temps pour me dire : « Nous serons applaudis là… puis là… Ici une salve de bravos… Oh ! oh ! voilà vingt vers qui ne nous rapporteront rien, ni ce passage-là non plus… Ah ! ici, une tirade dont je réponds ! Et si vous semez çà et là quelques murmures de satisfaction, quelques Ah ! approbateurs, nous arriverons à une impression générale excellente et à une dizaine d’effets. Attendez la séance sans crainte. » Sa prédiction se réalisa de point en point. A chaque marque de sympathie signalée d’avance par lui, il levait vers moi les yeux en souriant,