Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/56

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comme pour me dire : « Vous l’avais-je promis ? »

La séance terminée, je sortis, et je trouvai dans la cour de l’Institut cette foule d’amis connus et inconnus qui vous attendent, ces mains qui se tendent vers vous, ces bras qui se jettent autour de votre cou, ces yeux bienveillants qui vous suivent. Eh bien, le croirait-on ? au milieu de tous ces témoignages si agréables pour un garçon de vingt-deux ans, je voyais toujours devant moi le regard et le sourire de M Lemercier. C’est que j’ai eu pour M. Lemercier un sentiment très particulier, un sentiment qu’on n’éprouve peut-être qu’une fois, qu’on n’éprouve guère que dans la jeunesse, qui tient de l’admiration, du respect, de la reconnaissance, mais qui s’en distingue et les dépasse ; j’ai eu pour lui un culte ! Certes, j’avais beaucoup admiré et aimé Casimir Delavigne ; mais son âge se rapprochait trop du mien ; son caractère, plein de charme, n’avait pas assez de force, pour que mon admiration, si vive qu’elle fût, allât plus loin qu’une admiration littéraire, et que mon affection très réelle dépassât la sympathie et la reconnaissance. Le culte veut davantage ; il ne va pas sans un léger tremblement devant le Seigneur. J’ai toujours, je ne dirai pas tremblé, mais tressailli devant M. Lemercier. Rien pourtant de plus affable que son accueil. Il m’avait même admis dans sa famille, et sa femme, sa fille, me montraient la même bienveillance qui lui. N’importe ! Sa supériorité m’était toujours présente. Était-ce enthousiasme aveugle pour ses ouvrages ? Non ! J’en voyais les défauts, avec regret, en m’en voulant de les voir ; mais je les voyais. Était-ce