Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/593

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palinodies de ce personnage, dans son embarras pour accorder sa fidélité d’aujourd’hui avec sa fidélité d’autrefois ? Ce sera charmant. » Là-dessus, un flot de monde sépara les deux amis ; Scribe rentre chez lui, et rentre songeur et soucieux. Pourquoi ? C’est qu’après cette conversation une inquiétude lui était venue. « J’ai bien peur, se dit-il, que mon sujet ne soit pas aussi bon que je me l’imaginais ; de Verteuil est un homme de beaucoup d’esprit ; je lui ai raconté mon plan avec verve et entrain ; eh bien, il n’a pas ri. Oh ! il n’y a pas à se le dissimuler, il n’a pas ri du tout. Diable ! diable ! c’est un mauvais signe. » Tout en parlant ainsi, Scribe ouvre machinalement le journal du soir. Voici ce qu’il y lit : M. de Verteuil, ancien pair de France, est nommé sénateur.

Arrivons enfin aux caractères, et au style. J’avouerai sans hésitation que là sont les deux côtés faibles de Scribe. La vie humaine lui apparaissait presque toujours à la lueur de la rampe ; il connaissait très bien les hommes, mais il les voyait à l’état de personnages de théâtre. De là, ce fait singulier, qu’il a créé une foule de jolis rôles, et qu’il a produit très peu de types généraux et profonds. Ce n’est pas que la vie et la vérité manquent aux êtres qu’il jette sur la scène ; sa finesse d’observation démêle à merveille et met bien en relief leurs travers, leurs prétentions, leurs passions ; ils parlent comme ils doivent parler, ils agissent comme ils doivent agir dans la situation donnée, mais il ne sont que les hommes de cette situation ; ils la remplissent, ils ne la dépassent pas. Au contraire, pour prendre