Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/61

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vivante existe son âme, avec des redoublements d’esprit, une étendue de vues, une audace de conception, qui en font pour moi un phénomène charmant, tandis que la partie morte en fait pour moi un martyr qui m’attendrit, un héros de la douleur qui m’étonne, et c’est tout cela qui m’explique les grandes passions qu’il a inspirées et ressenties, car les femmes ont des yeux pour comprendre et adorer ces prodiges. »

Voilà, certes, un portrait bien frappant !

Aujourd’hui, que reste-t-il de celui qui l’a inspiré ? Un nom sans doute, mais presque rien qu’un nom. La plus grande œuvre de M. Lemercier, la Panhypocrisiade, ne se sauve de l’oubli que par la bizarrerie de son titre. Agamemnon est englouti dans la fosse commune où gisent toutes les tragédies qui ne sont pas signées de Corneille ou de Racine. Pinto se cite encore de temps en temps avec éloge, mais plutôt comme une tentative hardie que comme une œuvre complète. Enfin M. Lemercier n’a pas l’heureuse fortune de survivre dans quelques vers, connus de tous, comme Arnault, avec La feuille de rose et la feuille de laurier.

Comment expliquer cette indifférence succédant à tant d’admiration ? Qui a raison, l’époque de Lemercier ou la nôtre ? D’où vient cet oubli, et que fut-il ?

Le premier acte de la vie de M. Lemercier est caractéristique.

Un jour, le comité de lecture du Théâtre-Français s’assemblait pour entendre l’ouvrage de début d’un jeune auteur, fort recommandé par la cour. C’était avant 89 ;