Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/611

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vous. Louez une loge pour demain ; je serai chez vous à sept heures. » Hum ! fait Scribe, les Pilules du Diable, deux fois en vingt-quatre heures ! C’est dur ! Enfin ! puisqu’il le faut. Il loue la loge, il revoit les Pilules du Diable, il s’y ennuie beaucoup plus que la première fois, il rentre exaspéré, et trouve un second billet ainsi conçu : « Mon cher ami, on m’a monté la tête pour les Pilules du Diable. Je meurs d’envie de les voir, surtout avec vous ! Demain soir vous va-t-il ? Oui, n’est-ce pas ? Louez une baignoire, je me fais une fête de cette soirée ! » Il se résigna, comme toujours ; car avec sa bonhomie, son impossibilité de faire de la peine à quelqu’un et surtout à une femme, il n’avait pas le courage de rompre. Tout au plus, de temps en temps, trouvait-il le moyen, par quelque ruse, de détendre un peu sa chaîne. Une de ces deux reines et maîtresses, la plus ancienne, lui avait fait promettre de venir la voir chaque jour de cinq heures à six. Tout n’était pas tendresse dans cette exigence, il y avait moitié calcul. La dame tenait à ce que cette visite quotidienne constatât publiquement son emprise sur Scribe. Il était donc fidèle au rendez-vous ; seulement, deux ou trois fois par semaine, au bout d’un quart d’heure, il allait s’adosser à la cheminée, et passant son bras derrière son dos, il avançait du doigt, l’aiguille de la pendule. Puis se retournant : « Ah ! bon Dieu ! disait-il, déjà six heures ! Il faut que je me sauve !Comme le temps passe près de vous ! »

Gœthe raconte que, quand il avait un chagrin d’amour, il en faisait une ode, et que sa peine s’envolait, emportée par ses vers. Scribe se vengea des mille ennuis de ces liens