Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/633

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et, après un an de travail, j’apportais mon ouvrage à Mlle Rachel. La première épreuve ne me fut pas favorable. Le titre lui fit froncer le sourcil ; je ne m’en effrayai pas. Je la connaissais. Je me rappelais son refus de jouer Adrienne. Aussi, la lecture finie, je lui dis froidement : « Eh bien ? ― Eh bien, me répondit-elle, je m’attendais à quelque chose de plus nouveau ? J’ai déjà joué tant de rôles grecs ! ― Médée n’est pas une Grecque dans mon ouvrage, c’est une barbare. ― Je n’ai jamais joué de personnage de mère. ― Raison de plus pour commencer. ― Qui me prouve que j’aurai l’accent maternel au théâtre ? ― Votre amour maternel ! Pourquoi n’exprimeriez-vous pas bien ce que vous ressentez si vivement ? ― Je trouve dans votre second acte et dans le troisième des passages subits de la fureur aux sanglots, je ne sais pas faire cela. ― Eh bien, moi, lui répondis-je en riant, je sais le faire et je vous l’apprendrai. » C’est ainsi que, sans la heurter de front, moitié par raisonnement et moitié par persuasion, en me rendant compte de ce qu’il y avait dans cette rare intelligence d’ouvert et de fermé, de docile et d’ombrageux, je parvins à la faire entrer petit à petit dans la compréhension du personnage que j’avais essayé de peindre, et qu’elle finit par s’attacher à l’étude de Médée avec autant de passion qu’à celle d’Adrienne et de Louise de Lignerolles.

Je n’oublierai jamais une de nos séances de travail. Elle m’avait donné rendez-vous à dix heures du matin, dans une petite villa qu’elle avait louée à Auteuil. En arrivant, je la trouvai dans son jardin, cueillant des