Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/638

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le long de ses doigts. Je restai stupéfait. Qu’y avait-il de vrai dans ce que je voyais ? Ses larmes étaient-elles de vraies larmes, ou avait-elle le don de pleurer à volonté ? Voulait-elle me tromper, ou se trompait-elle elle-même ? L’imagination a une telle part dans les sentiments de ces créatures nerveuses, qu’on ne sait jamais avec elles où commence la vérité et où elle finit. Qu’est-ce qui l’attendrissait ? Le regret d’un idéal d’art non réalisé, ou un rôle qu’elle venait de créer en le jouant ? Cela l’amusait-il de me duper ? Mme Talma a écrit que son émotion dans Iphigénie venait, non des vers de Racine, mais du son de sa propre voix en les récitant. En était-il ainsi pour Mlle Rachel ? S’était-elle émue elle-même à ses propres accents ? Y avait-il calcul de sa part à m’avoir choisi, moi, qui étais à peine un ami, pour cette confidence ? Je me perdais en suppositions, et je m’attendais toujours à ce qu’elle allait retirer ses mains de sa figure, m’éclater de rire au visage, et me dire, en voyant mon émotion : « Allons, je suis contente, je vois que j’ai bien joué. » Il n’en fut rien. Elle essuya ses yeux et me dit très simplement : « Vous en savez plus sur moi maintenant que bien des gens qui croient me connaître. »

Je partis ému, étonné et enchanté. Cette conversation me semblait de bon augure. Si mobile que je la connusse, il me paraissait difficile qu’elle manquât de parole à un homme à qui elle s’était ainsi confiée. Le personnage si noble qu’elle avait représenté un moment devant moi, devait l’engager un peu, ne fût-ce que pour le plaisir de s’être montrée sous un pareil jour. Enfin, j’étais plein d’espoir. Trois jours plus tard, j’apprenais que