Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/657

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On jouait Paméla, de François de Neufchâteau. A la huitième représentation, ces deux vers :

 
Ah ! les persécuteurs sont les seuls condamnables,
Et les plus tolérants sont les plus raisonnables.


furent applaudis à outrance (j’espère que ce n’est pas comme bons). Mais un patriote en uniforme, dit la feuille du Salut Public, se leva du balcon et s’écria indigné : « Pas de tolérance politique ! C’est un crime ! » Le fameux acteur Fleury répond à l’interrupteur ; le public redouble de bravos. On chasse le patriote en uniforme, et le lendemain, ordre du Comité de Salut public de fermer le théâtre et d’enfermer les comédiens. Mme Roland raconte dans ses Mémoires qu’un soir elle entendit, dans les couloirs de la prison, un grand bruit de rires et de chants : c’étaient les comédiens du Théâtre-Français qui arrivaient, le soir de la représentation de Paméla et de l’École des Bourgeois ; ils étaient accusés de modérantisme, d’incivisme, voire même de conspiration royaliste, pour avoir joué la réactionnaire Paméla. Ils prenaient leur prison si gaiement que l’un d’eux disait : « Comme nous avons bien joué ce soir ! Cette menace d’incarcération nous avait mis en verve !… Nous faisions la nargue à nos brutes de dénonciateurs ! Nous serons peut-être guillotinés, mais c’est égal, c’était une belle représentation ! » Il n’y a que des artistes français pour se mettre en verve sous ce prétexte-là.

Une fois le régime de la Terreur fini, le Directoire établi, et François de Neufchâteau ministre, il n’eût qu’une idée, reconstituer le Théâtre-Français. Il le lui