Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/663

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notre corps d’armée. Fallait-il livrer bataille ou battre en retraite ? Le conseil de guerre s’assemble. Gouvion Saint-Cyr opine vivement pour la retraite ; son avis l’emporte. Une heure avant le moment fixé pour le départ, le général en chef, dans une reconnaissance, est blessé d’un éclat d’obus. Gouvion Saint-Cyr prend le commandement, et immédiatement il contre-mande tous les plans de retraite, engage la bataille et la gagne. « Pourquoi donc, lui dit-on, l’avez-vous déconseillée ce matin au général en chef ? ― Parce qu’il l’aurait perdue.

La seconde qualité de Mahérault était d’appartenir à ce que j’appelle les conseillers inventifs, c’est-à-dire à ces esprits à la fois actifs et sensés qui, sans jamais se substituer à vous, vous poussent dans votre propre voie et complètent votre propre idée. Un jour, à la lecture d’Adrienne Lecouvreur, Mahérault nous dit : « Il manque un personnage dans votre pièce. ― Eh ! où veux-tu, répondit Scribe, que nous le mettions, ton personnage de plus ? ― A la place d’un autre ! ― Comment ? ― Vous avec un duc d’Aumont qui joue un rôle assez insignifiant. Ce n’est rien qu’une caillette de cour. Pourquoi ne pas le remplacer par un petit abbé ? ― Admirable ! s’écrie Scribe, voilà une vraie figure du dix-huitième siècle. Une actrice, une princesse, un héros et un abbé, le tableau est complet. » En effet, cette seule figure jetée dans l’action métamorphosa toutes nos scènes de second plan. La galanterie, le caquetage, l’amour, tout prit couleur dans sa bouche, et il courut, il bourdonna à travers la pièce, comme une