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II

Les collectionneurs millionnaires ont sans doute droit à ce qu’on les considère ; j’en sais qui sont de très fins connaisseurs ; mais il leur manque toujours les deux grands signes du collectionneur : la peine et le sacrifice. Ce n’est souvent chez eux qu’affaire de vanité. Ils chargent quelqu’un d’avoir du goût pour eux ; ils fournissent l’argent, le mandataire fournit la science, et les voilà promus au noble titre d’amateur. Mais conquérir pièce à pièce, jour à jour, année par année, un ensemble d’objets d’art qui constitue lui-même une œuvre d’art ; découvrir ce qui est inconnu, deviner ce qui est méconnu, remettre en lumière des ouvrages ou des talents oubliés, refaire parfois tout un côté d’une époque, courir, chercher, comparer, consulter, prendre sur son repos, prendre sur ses besoins et arriver enfin comme M. Sauvageot par exemple, après quarante ans de travail, à économiser une collection de plusieurs cent mille francs sur ses appointements qui n’étaient que de quatre mille ; oh ! voilà qui mérite sympathie et respect, car cela veut dire science, patience, passion et goût. Or Mahérault, qui n’a guère eu toute sa vie d’autre fortune que sa place, a laisser une collection tout à fait rare, de dessins, d’estampes et de gravures du dix-huitième