Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/684

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obscur, qui n’a la gloire ni pour objet ni pour récompense, se bat sans qu’on lui en sache gré, meurt sans qu’on s’en aperçoive, et aime, ce semble, d’autant plus sa patrie qu’il lui donne tout et qu’elle ne lui donne rien. Le vieux maître termina dignement ses leçons : quand vint 1814 et, avec 1814, l’invasion, il parut un matin dans la cour du collège avec un fusil sur l’épaule et un petit paquet sur le dos : « Mes amis, leur dit-il, lorsque le sol de la patrie est envahi, tout citoyen doit devenir soldat, » et il partit comme volontaire.

Ce noble type populaire s’imprima fortement dans l’imagination de Reynaud ; il s’en souvint toute sa vie, et certainement en 1848, lorsqu’au ministère de l’Instruction publique il prenait tant de souci du sort et de l’influence des maîtres d’étude, il pensait à son vieux professeur du collège de Thionville.

Le maître parti, l’ennemi se chargea de continuer l’éducation. Le siège fut mis devant Thionville. C’est un rude cours d’étude qu’un mois de siège. Les trois élèves du vieux soldat n’y virent qu’un plaisir, je dirais volontiers qu’un jeu. Tout travail scolaire avait cessé ; ils ne mettaient plus la main à la plume, que pour rédiger à eux trois leur journal de siège. Dès que le canon se faisait entendre, ils couraient aux remparts, et leur vaillante mère ne les arrêtait pas. Si la garnison faisait une sortie, ils se glissaient à la suite des soldats et allaient se mêler de loin à la bataille… Quels cris de joie, quand on rentrait vainqueur ! quand on avait fait des prisonniers ! Que n’écrivait-on pas alors dans le journal ! Mais le jour néfaste arrive : Thionville tomba.