Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/685

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Les villes capitales ont beau être prises, elles ignorent ce que c’est qu’une invasion. Les horreurs du siège et de l’assaut leur sont presque toujours épargnées. Contenues par la présence des chefs qui sont souvent des souverains, les troupes ennemies restent sous la règle d’une discipline sévère, et, comme elles éprouvent en partie la peur qu’elles inspirent, leur présence ressemble à l’oppression plus qu’à la conquête. Mais dans les villes de province, dans les campagnes surtout, plus de mesure. Les envahisseurs forcent les maisons, brûlent les villages, insultent, égorgent, font fuir devant la flamme et le fer, les populations épouvantées. C’est au milieu de ces terribles spectacles qu’apparaissent vraiment le fond de la vie et le fond de l’âme humaine. C’est là qu’éclata aux yeux de Reynaud enfant, la peur dans tout son égoïsme, le courage dans toute sa grandeur, le désespoir dans tout son éperdument, la misère dans toute son horreur ; et l’image des grandes calamités publiques se levant dans son âme à la lueur de ces lugubres incendies, y laissa une éternelle empreinte d’austère énergie et de farouche vaillance.

Sa mère était femme à accepter ces épreuves pour ses fils, et, une fois ces épreuves passées, à les bénir. Mais les y exposer deux fois, c’était au-dessus de ses forces. Quand 1815 amena la seconde invasion, elle quitta Thionville et se retira avec son précieux trésor au fond d’une campagne solitaire où l’ennemi ne pût pas pénétrer.

Là, avec cet instinct merveilleux qui la guidait pas à pas dans cette triple et délicate éducation, elle plongea