Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/686

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ses trois vigoureux enfants en pleine nature, comme elle les avait plongés à Thionville en pleine patrie. Peu de travail, sauf quelques courtes études. Les champs et les bois pour maîtres, la vue du ciel pour De viris, la vie champêtre pour leçons. Mes trois bandits (un des sens de ce mot profond se dégage) partaient seuls dès le matin, et passaient toute leur journée dans les forêts, dans les fermes, suivant les garde-chasse, mangeant dans quelque cabane de bûcheron, vivant de la vie du peuple des campagnes et ne revenant que le soir, harassés, hérissés, les habits déchirés, mais avec un luxe de santé sur le visage qui disait à leur mère : tu fais bien ! Rien de plus intéressant que de voir poindre les premiers linéaments du caractère des hommes supérieurs. Là commença donc à se montrer un des traits les plus distincts de Reynaud, son double amour de la nature, je veux dire son amour pour le détail comme pour l’ensemble. Les grands horizons, les splendeurs des couchers de soleil, les éloquentes profondeurs des bois qui lui ont inspiré de si admirables pages, frappaient déjà son imagination d’enfant, et en même temps il étudiait les herbes, les insectes, et revenait toujours les mains chargées de plantes et de nids d’oiseaux. Sa mère observait le petit observateur, et la vue de cet enfant singulier la rendait songeuse.

Aussi, le soir, quand le ciel étincelait d’étoiles et qu’elle se promenait dans le jardin : « Viens ici, mon petit philosophe, lui disait-elle, et regarde ! » Puis, élevant ses yeux vers le ciel, elle lui désignait les planètes, les constellations, et ajoutait : « Vois-tu tous ces