Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/692

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d’accès ; l’Allemand qui conduisait les travaux lui déconseille de tenter cette rude descente : « Nos ouvriers mêmes, lui dit-il, nos Allemands, ne peuvent descendre et remonter sans prendre de repos, et n’y mettent pas moins de trois heures. ― Vraiment ? » lui dit Reynaud, et soudain le voilà descendu dans la mine, d’où il remonte sans s’arrêter, en moins de deux heures. Ces bons Allemands ne purent s’empêcher de dire : Ah !ces Français ! Il avait sa récompense ; on avait dit : ces Français et non pas ce Français ! Toute son ambition était pour la France, jamais pour lui-même ; s’il tenait a ce qu’il fît attention à lui, c’était pour qu’on se souvient d’elle.

On doit commencer à comprendre ce surnom de bandit qui lui avait été donné. Bandit, à cette époque de fièvre poétique, au milieu du rayonnement de la gloire des Byron et des Schiller, bandit voulait dire Conrad, Lara, Charles Moor, Manfred, Gœtz de Berlichingen, c’est-à-dire je ne sais quoi d’héroïque et de poétique, de chevalesresque et de révolté, qui convenait à merveille à cet aventureux jeune homme. Lui-même, il a dit de lui dans une lettre : Mes défauts sont une haine violente de l’obstacle toutes les fois que je n’ai aucun moyen d’agir contre lui ; c’est un sentiment invincible de révolte toutes les fois que je sens que j’entre dans un état de dépendance vis-à-vis d’autrui ; c’est un amour sauvage de ma liberté. Il y aura toujours en moi l’homme qui s’est formé seul, au milieu des âpres montagnes de la Corse, à cheval sur les cimes, entre le ciel et l’océan, vivant de sa chasse, couchant sous les étoiles, ne connaissant d’autre autorité que la sienne, et menant lui-même sa vie.