Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/693

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Le mot de Corse, jeté dans cette lettre, achève de nous expliquer le mot bandit. La Corse fut en effet sa sévère et dernière institutrice ; nous allons l’y suivre.

Il y a un fait qui est également vrai dans le monde moral et dans le monde physique, c’est que, petits ou grands, nous avons tous dans notre vie des époques de crise, ce que j’appellerais volontiers des ères. Le séjour de Reynaud en Corse fut une ère pour lui ; c’est là que son être intellectuel se dessina nettement, que le fruit se noua. Il avait alors vingt-quatre ans. Sa jeunesse, passée à Paris, avait déjà eu ses orages ; mais ce n’étaient pas les passions terrestres, les agitations des sens, qui avaient troublé ce cœur véhément, c’étaient les débats de l’âme avec elle-même, les terribles problèmes de la vie, de l’immortalité, des misères de ce monde. La tempête des idées était presque la seule qui eût grondé en lui, et les contemplations religieuses excitaient dans cette âme de vingt-trois ans, des transports et des attendrissements pareils à ceux que l’amour fait naître dans les jeunes cœurs. O ma bonne mère, écrivait-il vers cette époque, une immense joie inonde mon âme !… Plus de vide ! plus de spleen !… Hier, l’idée de Dieu m’est apparue claire, sans nuage ! l’idée du Dieu présent, personnel !… Le monde est maintenant rempli pour moi d’un adorable ami !…

A ces effusions religieuses se mêlaient et se liaient en lui, dès ce moment, des préoccupations sociales et politiques. On se rappelle le beau mouvement d’idées qui éclata en France dans ces années de 1825 à 1830.