Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/720

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celle que je nommais son Fénelon. Cette âme de douceur s’insinuant en lui comme une huile pure et précieuse qui parfume et lénifie, il se rasséréna sans se refroidir, il s’adoucit sans s’amollir.

Les élections de 1863 le prouvèrent. On se rappelle avec quelle vivacité s’agita entre les républicains, avant la lutte électorale, la question du serment. Consulté à ce sujet par plusieurs de ses amis, Reynaud leur conseilla de le prêter. L’intérêt de la France, disait-il, leur en faisait un devoir. Mais quand les électeurs de la Moselle, dont les suffrages l’avaient envoyé à la Chambre représentative de 1848, vinrent le rechercher à Cannes, en 1863, pour lui offrir la candidature, il la refusa. Son refus n’impliquait pas et ne pouvait pas impliquer le blâme de ceux qui crurent devoir plutôt suivre ses conseils qu’imiter sa conduite ; mais je dois citer cette réponse aux électeurs de la Moselle, car rien ne peint mieux cette nature inflexible, et qui portait dans les actions de la vie, la même rigueur que dans les principes philosophiques :


Cannes, mars 1863

« Je me sens très ému, rempli de reconnaissance et de douleur, messieurs. J’ai le regret de ne pouvoir me rendre à l’honneur que vous voulez bien me proposer. Je ne puis me résoudre à prêter serment à une constitution qui n’a pas la liberté pour base… Je suis fait de telle sorte que je ne saurais fléchir, sans m’anéantir par l’outrage fais soit à ma conscience si je prêtais un faux serment, soit à mon patriotisme si j’en prêtais un vrai. En définitive, je vous tromperais, car, au lieu d’appeler vos suffrages sur un homme droit et ferme, je ne leur offrirais qu’un homme humilié devant lui-même et abattu. »