Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/727

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pas à la poursuite de leur conquête avec une passion plus fiévreuse, que J.-J Ampère à la recherche d’un chef-d’œuvre, d’un monument, d’une découverte. Sa spécialité, c’était tout ! Poésie, théâtre, archéologie, histoire, critique, tout l’attirait et rien ne lui suffisait. Après les langues mortes, les langues vivantes ; après les langues vivantes, les hiéroglyphes ; après les livres, les pays ; après les pays, les hommes. Il fit, à vingt ans, un pèlerinage de trois mois auprès de Gœthe, pour connaître à fond le grand prêtre de la poésie contemporaine. Ce n’était pas un voyageur, c’était un habitant de toutes les contrées de la terre. A Rome, à Londres, à Heidelberg, il était partout chez lui comme à Paris. Avec cela, homme du monde et du meilleur monde, je pourrais dire de tous les mondes, car il avait été de fête dans les plus hautes sociétés européennes. Il en connaissait tous les dessous, tout les petits travers, ce qui, avec son immense et universel savoir, faisait de lui le causeur le plus extraordinaire que j’aie jamais vu. D’un bout de l’Europe à l’autre, on disait le charmant Ampère.

Ce mot charmant impatientait fort M. de Rémusat à qui on l’appliquait souvent. Il avait raison : ce mot implique quelque chose de superficiel, d’artificiel, de mondain, qui ne suffit pas plus à caractériser Ampère que l’auteur d’Abélard. L’âme d’Ampère était aussi riche que son intelligence, les sentiments généreux y abondaient comme les sentiments tendres. Il était capable d’indignation. Passionné pour la liberté, ainsi que M. de Tocqueville, son ami et son maître, l’attentat du