Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/739

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riante, les joues pleines et fleuries, la mine avantageuse, Baour-Lormian arriva à Paris, en vrai fils du pays des troubadours, à la fois poète et musicien, ayant en poche un poème qui ressemble à un opéra, et en main, à défaut d’une mandoline, un violon. Son poème était un Ossian, traduit par lui, mis en musique par lui, et qu’il allait chantant dans le monde à la façon des ménestrels du moyen âge, ou, si vous l’aimez mieux, de Thomas Moore, qui promena durant tant d’années dans les salons de l’aristocratie anglaise son talent de poète, son talent de compositeur, et sa jolie voix de baryton. Du reste, au temps de Baour-Lormian, la mode était à ces sortes de concerts. Je trouve dans les poésies de cette époque, un quatrain adressé à Mme de Genlis, qui avait chanté, en s’accompagnant de la harpe, chez le comte de Buffon, une ode contre les détracteurs de ce grand homme.

Qu’on mette en musique, et qu’on chante le lac, le vallon, je le conçois, mais une ode contre les détracteurs de Buffon ! Il est vrai que l’ode et le quatrain étaient signés Écouchard Lebrun, dont le nom arrive à point nommé sous ma plume, car il tint une grande place dans la vie de Baour-Lormian.

Baour-Lormian se voyait partout choyé, fêté, applaudi presque autant que Garat, quand, tout à coup, une rencontre fâcheuse vint jeter un nuage sur son bonheur. Alors régnait, trônait, dominait, dans le monde de la poésie, un petit homme sec, maigre, hâve, bilieux, à qui on avait donné pour surnom un des noms les plus poétiques de l’antiquité, c’était Écouchard Lebrun, qu’on appelait Lebrun-Pindare. Comment eût-on l’idée d’accoler