Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/759

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était insupportable, il s’y arrache, il s’envole au delà, et, interrompant tout à coup son ardent dithyrambe, il laisse tomber sur le coupable, cette évangélique parole de mansuétude et de pardon :

 
Un jour, de nobles pleurs laveront ce délire,
Et ta main étouffant le son qu’elle a tiré,
Plus juste, arrachera des cordes de ta lyre
La corde injurieuse où la haine a vibré.

Pour moi, j’aurai vidé la coupe d’amertume
Sans que ma lèvre même en garde un souvenir,
Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume
Ce qu’on jette pour la ternir !


Voilà bien Lamartine dans son attitude naturelle de grandeur, et cette Épître à Némésis, marquant le premier pas du poète dans les affaires publiques, m’amène naturellement à l’étude de l’orateur et de l’homme d’État.


III

Un soir, dans les dernières années de sa vie, Lamartine était assis au coin du feu, la tête penchée, les yeux fermés, dans cet état de somnolence qui lui était habituel alors, et où il flottait entre le sommeil et le rêve. Deux de ses amis s’entretenaient à voix basse, de lui, et non loin de lui. Les voix s’élevant à mesure que la conversation s’échauffait,