Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/760

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l’un d’eux dit à l’autre : « J’aimerais mieux avoir fait les Méditations que la République. » Lamartine, tout en bâillant, retourna la tête vers lui : « Que disiez-vous donc, mon cher ? » L’ami, corrigeant légèrement la phrase, répondit : « J’aimerais encore mieux avoir fait les Méditations que la République. ― Eh bien, cela me prouve, reprit Lamartine, bâillant toujours, que vous n’êtes qu’un niais. » Et là-dessus se levant et sortant en une seconde de son demi-sommeil : « Laissons là, dit-il, ma petite personnalité ; prenons la question générale, et jugez la supériorité immense de l’homme d’État sur le poète. Celui-ci s’épuisant à aligner des mots et à faire accorder des sons ; l’autre, étant le véritable verbe, c’est-à-dire la pensée, la parole et l’acte tout ensemble, réalisant ce que le poète ne fait que rêver, voyant tout ce qu’il y a en lui de grand, de bon, se convertir en faits et en bienfaits ; en bienfaits qui, non seulement profitent aux générations présentes, mais s’étendent parfois jusqu’à la postérité la plus reculée ! Savez-vous ce que c’est qu’un grand homme d’État ? c’est un grand poète… en action ! »

L’action, le besoin de l’action, l’espoir de l’action, telle a été en effet la pensée constante de celui qu’on ne regarde guère que comme un sublime rêveur. Sa plus vive admiration littéraire était… devinez pour qui ? Pour Voltaire ! Savez-vous pourquoi ? « Parce qu’il n’y a pas, disait-il, une ligne de lui qui n’ait été un acte ; pas une parole de sa bouche qui n’ait eu sa part dans les choses publiques. Voltaire a été pendant quarante ans