Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/761

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le plus grand événement de son siècle. Aussi dit-on le siècle de Voltaire, comme on dit le siècle de Louis XIV et le siècle de Périclès. »

Enfin, un jour, Lamartine, dans un de ces rares moment de complet abandon où il montrait sa pensée tout entière, car sous son apparence de laisser-aller et d’effusion, il était très secret, très maître de soi, et gardait dans le fond de son âme, certains recoins cachés où personne ne pénétrait, pas même peut-être lui ; un jour donc, il s’écria : « Oh !être un Napoléon sans épée au côté ! » Voilà le fond du cœur de Lamartine. Régner sur un grand peuple par la pensée ! commander au monde par l’esprit ! Être le conquérant, le dominateur de son époque, sans verser une goutte de sang, et sans assujettir les hommes à un autre joug que celui de la justice, de la pitié, de la générosité ! Chimère et rêve ! dira-t-on. Soit ! Mais ce rêve, il l’a réalisé pendant trois mois, et il l’a poursuivi pendant seize ans.

Les anciens donnaient aux poètes le nom de vates, qui veut dire prophète. Jamais homme n’a mérité ce nom mieux que Lamartine. C’était un voyant. Je ne sais quel instinct divinatoire lui révélait à la fois les grandes crises publiques et le rôle particulier qu’il y jouerait. Quand on lit, dans le Voyage en Orient, sa conversation avec lady Stanhope, on est émerveillé de voir avec quelle netteté il se marque à lui-même son but, et avec quelle constance il y a marché. Étudiez sa conduite depuis 1832, elle est saisissante. Il arrive à la Chambre. « De quel parti serez-vous ? lui demande-t-on. ― Du parti social. » Mot nouveau qui n’avait jamais