Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/793

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Ma présence, ma main dans les siennes, un mot d’affection, font disparaître tout cela comme par enchantement. Puis ce sont des repentirs tout aussi exaltés, des joies de me recouvrer, des reconnaissances qui m’émeuvent et qui me font de nouveau rentrer dans la voie que j’ai voulu quitter. Quelle tête à l’envers, ma chère amie ! L’amour le grise, aussi bien qu’autre chose. Par moments, l’ivresse en est sublime, mais que d’autres instants où elle n’est presque pas tenable ! c’est un labeur que de se laisser aimer par lui. C’est par l’orgueil immense de son caractère, et la fierté incontestable du mien que nous nous froissons. Cet orgueil n’est pas justement celui devant lequel je plierais avec bonheur, celui du poète, celui du talent et de la renommée ; point du tout. Ici, il n’y en a pas. Votre père serait bien étonné d’entendre apprécier ainsi par l’auteur lui-même, ces œuvres qu’il n’aime pas. Il est vrai que ces jugements, si modestes et si sincères je vous le jure, ne sont portés que devant moi. C’est dans l’épanchement de l’intimité qu’ils se font jour : devant le public, il n’est pas si humble.

Que vous dirai-je encore ? Son passé désordonné laisse des traces indélébiles. Avec un caractère ombrageux, la méfiance et le soupçon ne se présentent qu’au milieu d’un cortège de ressouvenirs très amers à entendre, et qui, à tout prendre, sont ceux d’un ex-libertin. Je ne les supporte pas, et alors querelles, pardons, et réconciliations. Voilà. Je n’ai jamais vu de contrastes plus frappants que les deux êtres enfermés