Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/794

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dans ce seul individu. L’un bon, doux, tendre, enthousiaste, plein d’esprit, de bon sens, naïf (chose étonnante), naïf comme un enfant, bonhomme, simple, sans prétentions, modeste, sensible, exalté, pleurant d’un rien venu du cœur, artiste exquis en tous genres, sentant et exprimant tout ce qui est beau dans le plus beau langage, musique, peinture, littérature, théâtre.

Retournez la page et prenez le contre-pied, vous avez affaire à un homme possédé d’une sorte de démon, faible, violent, orgueilleux, despotique, fou, dur, petit, méfiant jusqu’à l’insulte, aveuglément entêté, personnel et égoïste autant que possible, blasphémant tout, et s’exaltant autant dans le mal que dans le bien. Lorsqu’une fois il a enfourché ce cheval du diable, il faut qu’il aille jusqu’à ce qu’il se rompe le cou. L’excès, voilà sa nature, soit en beau, soit en laid. Dans ce dernier cas, cela ne se termine jamais que par une maladie qui a le privilège de le rendre à la raison, et de lui faire sentir ses torts. Je ne sais comment il a pu y résister jusqu’ici et comment il n’est pas mort cent mille fois ! »

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Voilà l’Alfred de Musset vrai et vivant ! Voilà la créature orageuse, désordonnée, maladive, d’où partirent les déchirants et pathétiques accents des Nuits, de l’Espoir en Dieu, de la Lettre à Lamartine ! Voilà enfin en quoi il diffère de nos deux grands poètes, et en quoi il les complète, en en différant.