Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/795

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Un sculpteur illustre, chargé de faire la statue de Lamartine, l’a représenté dans une pose théâtrale, l’air inspiré, les cheveux au vent, les pans de sa redingote soulevés comme par un souffle d’orage. C’est là le portrait de Chateaubriand, non de Lamartine. Le vrai Lamartine est celui qu’on a vu à l’Hôtel de Ville, pendant les journées de Février ; tranquille au milieu des tempêtes, souvent ému, jamais troublé. Dans ses plus touchantes effusions lyriques, ses larmes ne vont jamais jusqu’aux sanglots. Sa douleur s’arrête avant le désespoir ; il y a toujours en lui quelque chose qui plane.

Quand à Victor Hugo, son talent de virtuose est si extraordinaire, qu’il l’entraîne malgré lui, et que ses sentiments les plus sincères deviennent souvent des thèmes sur lesquels il exécute des variations. Lamartine m’a dit un mot bien profond sur les Châtiments. J’arrivai chez lui au moment où il achevait de les lire. Il était dans l’enthousiasme. Il frappait sur le volume, en s’écriant : « Ah ! il n’y a pas à dire ! c’est beau ! c’est grand ! c’est puissant ! » Puis tout à coup il s’arrête, et après un moment de silence : « Six mille vers de haine, c’est beaucoup ! » Ce jugement est décisif. Sur six mille vers d’indignation, il y en a forcément trois mille qui ne sont que de vocalises. Il semble parfois que Victor Hugo assiste à ses émotions. A. de Musset était submergé par les siennes.

En résumé, Victor Hugo et Lamartine sont des Olympiens. Ils en ont le calme. Je me les imagine volontiers siégeant sur quelque mont Ida, tandis qu’A. de Musset m’apparaît