Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/95

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M. Ballande vint me demander une conférence pour une de ces matinées théâtres dont il fut le créateur. J’acceptai, à une condition, c’est que la pièce jouée serait L’Abbé de l’Épée, et que L’Abbé de l’Épée serait le sujet de la conférence. Ainsi fut fait. Je n’exaltai pas l’ouvrage, je le décomposai. Sans phrases laudatives, sans apologie, je me bornai à mettre en relief l’architecture du drame, ou plutôt à mettre l’architecte en action. Je tâchai de faire assister le public à la création de l’ouvrage dans la tête de l’auteur, laissant ensuite les spectateurs à leurs appréciations personnelles. L’effet produit fut considérable. J’eus le joie de voir une émotion profonde, unanime, accueillir l’œuvre de mon vieil ami. Plusieurs représentations n’épuisèrent pas la curiosité du public. La pièce refit son tour de France, et retrouva partout le même succès ; d’où ma conviction, qu’il ne lui manque, pour être tout à fait durable, que d’avoir été écrite à une autre époque ; c’est-à-dire dans un autre style. Si l’on débarrassait çà et là le dialogue, et ce serait chose facile, de la phraséologie sentimentale du moment, l’élève de Sedaine figurerait au répertoire comme son maître ; L’Abbé de l’Épée aurait sa place à côté du Philosophe sans le savoir.

Mais laissons l’ouvrage et parlons de l’auteur ; il nous offre un utile exemple.

On parle beaucoup de professions meurtrières ; on énumère les métiers dont l’exercice devient parfois mortel. Je n’en sais pas de plus plein de périls que la carrière dramatique. Ce n’est pas, comme dans les états manuels, le corps qui est en danger, c’est le