Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/90

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83[1]. Entre autres différences qu’il y a entre les âmes ordinaires et les esprits, dont j’en ai déjà marqué une partie, il y a encore celle-ci : que les Âmes en général sont des miroirs vivants ou images de l’univers des créatures ; mais que les Esprits sont encore des images de la Divinité même, ou de l’Auteur même de la nature ; capables de connaître le système de l’univers et d’en imiter quelque chose par des échantillons architectoniques ; chaque esprit étant comme une petite divinité dans son département (§ 147).

84. C’est ce qui fait que les esprits sont capables d'entrer dans une manière de société avec Dieu, et qu’il est à leur égard, non seulement ce qu’un inventeur est à sa Machine (comme Dieu l’est par rapport aux autres créatures) mais encore ce qu’un Prince est à ses sujets, et même un père à ses enfants.

85[2]. D’où il est aisé de conclure que l’assemblage de tous les esprits doit composer la Cité de Dieu, c’est-à-dire

    de l’homme. » (Ibid., § 397.) C’était bien la peine, en effet, de reprocher si sévèrement à Malebranche de faire intervenir Dieu à tout propos comme un Deus ex machina, alors que Malebranche (plus conséquent au fond que Leibniz et qui sait mille fois mieux que le philosophe allemand, concilier sa philosophie avec sa théologie en subordonnant celle-ci à la première) déclare que les miracles eux-mêmes rentrent dans les lois naturelles. Mais voyons comment Leibniz va se passer du miracle : « Cela se pourra expliquer en concevant que dans ce grand nombre d’âmes et d’animaux, ou du moins de corps organiques vivants qui sont dans les semences, ces Âmes seules qui sont destinées à parvenir un jour à la nature humaine, enveloppent la raison qui y paraîtra un jour de ce que les seuls corps organiques sont préformés et prédisposés à prendre un jour la forme humaine. » (Ibid., § 397.) C’est tout simplement une hypothèse subsidiaire, ce n’est nullement une explication.

  1. Une petite divinité dans son département. — « L’esprit n’a pas seulement une perception des ouvrages de Dieu, mais il est même capable de produire quelque chose qui leur ressemble, quoiqu’on petit. Car, pour ne rien dire des merveilles des songes, où nous inventons sans peine et sans avoir même la volonté des choses auxquelles il faudrait penser longtemps pour les trouver quand on veille, notre Âme est architectonique encore dans les actions volontaires, et, découvrant les sciences suivant lesquelles Dieu a réglé les choses (pondere, mensura, numero), elle imite dans son département et dans son petit monde où il lui est permis de s’exercer, ce que Dieu a fait dans le grand. » (Princ. de la Nat. et de la Gr., 14, Erdm., p. 717, a.)
  2. La cité de Dieu. — Souvenir de saint Augustin. Il faut remarquer que dans cette cité de Dieu, Leibniz fait entrer tous les esprits, tandis que saint Augustin n’y comprenait que les chrétiens. Socrate avait conçu l’idée d’une société universelle des hommes et s’appelait ϰοσμοπολίτης (kosmopolitês), citoyen du monde. La cité de Dieu de saint Augustin s’opposait à la cité terrestre, à l’État ; pour Leibniz elle est le monde des esprits, en opposition au monde des créatures en général : il en exclut nos frères inférieurs, les animaux. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Il faudrait encore élargir la formule et dire que rien de ce qui est vivant et sentant ne nous est étranger.