Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/91

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le plus parfait État, qui soit possible sous le plus parfait des Monarques (§147. Abr., obj. 1).

86[1]. Cette Cité de Dieu, cette monarchie véritablement universelle est un monde moral dans le monde naturel, et ce qu’il y a de plus élevé et de plus divin dans les ouvrages de Dieu : et c’est en lui que consiste véritablement la gloire de Dieu, puisqu’il n’y en aurait point, si sa grandeur et sa bonté n’étaient pas connues et admirées par les esprits, c’est aussi par rapport à cette cité divine, qu’il a proprement de la bonté, au lieu que sa sagesse et sa puissance se montrent partout (§146 ; Abr., obj. 2).

87[2]. Comme nous avons établi ci-dessus une harmonie parfaite entre deux règnes naturels, l’une des causes Efficientes, l’autre des Finales ; nous devons remarquer ici

  1. Monde moral… gloire de Dieu. — On connaît les trois ordres de Pascal, les trois vies de Maine de Biran. « La distance infinie des corps aux esprits, où Pascal figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité… Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre des esprits, car il connaît tout cela et soi, et les corps rien. Tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble et toutes leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité ; cela est d’un ordre infiniment plus élevé. De tous les corps ensemble, on n’en saurait faire sortir une petite pensée ; cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité : cela est impossible et d’un autre ordre. » (Ed. Havet. t. II, p. 15.) De même Maine de Biran. « Le royaume de Dieu, c’est la vie de l’esprit qui n’arrive que pour l’homme intérieur, tout le reste est du dehors, de la chair qui meurt à chaque instant… L’expérience prouve qu’agir, méditer, prier sont toujours les conditions nécessaires de la manifestation et du développement de la vie de l’esprit… Mais la plus parfaite harmonie entre l’organisme animal et l’automate intellectuel ne constitue pas la vie de l’homme spirituel. Cette vie est supérieure non seulement à l’instinct de l’animalité, mais encore à l’instinct de l’humanité… Mon Dieu, délivrez-moi du mal : c’est-à-dire de cet état du corps qui offusque et absorbe toutes les facultés de mon âme, ou donnez à mon âme cette force qu’elle n’a pas en elle-même pour s’élever vers vous et trouver son repos, quel que soit l’état de mon corps et de quelque côté que souffle le vent de l’instabilité. » (Pensées, publiées par E. Naville, 383, sqq.) Enfin Kant a développé des idées analogues avec une rare profondeur : « Ce n’est pas dans l’homme la faculté de connaître, la raison théorique qui donne une valeur à tout ce qui existe, c’est-à-dire que l’homme n’existe pas pour qu’il y ait un contemplateur du monde. En effet, si cette contemplation ne nous représente que des choses sans but, ce seul fait d’être connu ne peut donner au monde aucune valeur ; et il faut déjà lui supposer un but final, qui lui-même donne un but à la contemplation du monde. » (Crit. du jug., §85.) Pascal, Biran, Kant, ces trois théoriciens profonds de la volonté libre, corrigent heureusement ce qu’il y a de trop exclusivement intellectuel dans le système de Leibniz. Kant a raison de dire que Leibniz intellectualise les phénomènes, mais ce n’est pas assez dire, il lui arrive aussi d’intellectualiser le vouloir et l’amour et de tout résoudre en une sorte de poussière intellectuelle, où l’homme moral se retrouve difficilement.
  2. Causes efficientes… causes finales… règne de la nature…, règne de la grâce. — Nous avons vu successivement la nature des causes efficientes ou du