Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/223

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sont distincts des relations, peuvent être les accidents réels. Mais soit qu’ils dépendent ou ne dépendent point de l’esprit, il suffit pour la réalité de leurs idées que ces modes soient possibles ou, ce qui est la même chose, intelligibles distinctement. Et pour cet effet, il faut que les ingrédients soient compossibles, c’est-à-dire qu’ils puissent consister ensemble.

§ 5. Philalèthe. Mais les idées composées des substances, comme elles sont toutes formées par rapport aux choses, qui sont hors de nous, et pour représenter les substances telles qu’elles existent réellement, elles ne sont réelles qu’en tant que ce sont des combinaisons d’idées simples, réellement et unies et coexistantes dans les choses qui coexistent hors de nous. Au contraire celles-là sont chimériques, qui sont composées de telles collections d’idées simples, qui n’ont jamais été réellement unies et qu’on n’a jamais trouvées ensemble dans aucune substance, comme sont celles qui forment un centaure, un corps ressemblant à l’or, excepté le poids, et plus léger que l’eau, un corps similaire par rapport aux sens, mais doué de perception et de motion volontaire, etc.

Théophile. De cette manière, prenant le terme de réel et de chimérique autrement par rapport aux idées des modes que par rapport à celles qui forment une chose substantielle, je ne vois point quelle notion commune à l’un et à l’autre cas vous donnez aux idées réelles ou chimériques ; car les modes vous sont réels quand ils sont possibles, et les choses substantielles n’ont des idées réelles chez vous que lorsqu’elles sont existantes. Mais en voulant se rapporter à l’existence, on ne saurait guère déterminer si une idée est chimérique ou non, parce que ce qui est possible, quoiqu’il ne se trouve pas dans le lieu ou dans le temps où nous sommes, peut avoir existé autrefois ou existera peut-être un jour, ou pourra même se trouver déjà présentement dans un autre monde, ou même dans le nôtre, sans qu’on le sache, comme l’idée que Démocrite avait de la voie lactée, que les télescopes ont vérifiée ; de sorte qu’il semble que le meilleur est de dire que les idées possibles deviennent seulement chimérique, lorsqu’on y attache sans fondement l’idée de l’existence effective, comme font ceux qui se promettent la pierre philosophale, ou comme feraient ceux qui croiraient qu’il y a eu une nation de centaures. Autrement, en ne se réglant que sur l’existence, on s’écartera sans nécessité du langage reçu, qui ne permet point qu’on dise que celui qui parle en hiver de roses ou d’œillets, parle d’une chimère, à moins qu’il ne s’imagine de les pouvoir