Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/264

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choses en espèces se rapporte uniquement aux idées que nous en avons, ce qui suffit pour les distinguer par des noms ; mais si nous supposons que cette distinction est fondée sur leur constitution réelle et intérieure et que la nature distingue les choses qui existent en autant d’espèces par leurs essences réelles, de la même manière que nous les distinguons nous-mêmes en espèces par telles ou telles dénominations, nous serons sujets à de grands mécomptes.

Théophile. Il y a quelque ambiguïté dans le terme d’espèce ou d’être de différente espèce, qui cause tous cet embarras, et quand nous l’aurons levée, il n’y aura plus de contestation que peut-être sur le nom. On peut prendre l’espèce mathématiquement et aussi physiquement. Dans la rigueur mathématique la moindre différence qui fait que deux choses ne sont point semblables en tout fait qu’elles diffèrent d’espèce. C’est ainsi qu’en géométrie tous les cercles sont d’une même espèce, car ils sont tous semblables parfaitement, et par la même raison toutes les paraboles aussi sont d’une même espèce, mais il n’en est pas de même des ellipses et des hyperboles, car il y en a infinité de sortes ou d’espèces, quoiqu’il y en ait aussi une infinité de chaque espèce. Toutes les ellipses innombrables, dans lesquelles la distance des foyers a la même raison à la distance des sommets, sont d’une même espèce ; mais comme les raisons de ces distances ne varient qu’en grandeur, il s’ensuit que toutes ces espèces infinies des ellipses ne font qu’un seul genre, et qu’il n’y a plus de sous-divisions. Au lieu qu’un ovale à trois foyers aurait même une infinité de tels genres, et aurait un nombre d’espèces infiniment infini, chaque genre en ayant un nombre simplement infini. De cette façon deux individus physiques ne seront jamais parfaitement [d’une espèce, car ils ne seront jamais parfaitement] semblables, et, qui plus est, le même individu passera d’espèce en espèce, car il n’est jamais semblable en tout à soi-même au-delà d’un moment. Mais les hommes établissant des espèces physiques ne s’attachent point à cette rigueur et il dépend d’eux de dire qu’une masse qu’ils peuvent faire retourner eux-mêmes sous la première forme demeure d’une même espèce à leur égard. Ainsi nous disons que l’eau, l’or, le vif-argent, le sel commun le demeurent et ne sont que déguisés dans les changements ordinaires : mais dans les corps organiques ou dans les espèces des plantes et des animaux nous définissons l’espèce par la génération, de sorte que ce semblable, qui vient ou pourrait être venu d’une même origine ou semence, serait d’une même espèce. Dans l’homme, outre la génération