Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/265

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humaine, on s’attache à la qualité d’animal raisonnable ; et quoiqu’il y ait des hommes qui demeurent semblables aux bêtes toute leur vie, on présume que ce n’est pas faute de la faculté ou du principe, mais que c’est par des empêchements qui lient cette faculté. Mais on ne s’est pas encore déterminé à l’égard de toutes les conditions externes qu’on veut prendre pour suffisantes à donner cette présomption. Cependant, quelques règlements que les hommes fassent pour leurs dénominations et pour les droits attachés aux noms, pourvu que leur règlement soit suivi ou lié et intelligible, il sera fondé en réalité, et ils ne sauront se figurer des espèces que la nature, qui comprend jusqu’aux possibilités, n’ait faites ou distinguées avant eux. Quant à l’intérieur, quoiqu’il n’y ait point d’apparence externe qui ne soit fondée dans la constitution interne, il est vrai néanmoins qu’une même apparence pourrait résulter quelquefois de deux différentes constitutions : cependant il y aura quelque chose de commun et c’est ce que nos philosophes appellent la cause prochaine formelle. Mais quand cela ne serait point, comme si selon M. Mariotte le bleu de l’arc-en-ciel avait une tout autre origine que le bleu d’une turquoise, sans qu’il y eût une cause formelle commune (en quoi je ne suis point de son sentiment) et quand on accorderait que certaines natures apparentes, qui nous font donner des noms, n’ont rien d’intérieur commun, nos définitions ne laisseraient pas d’être fondées dans les espèces réelles ; car les phénomènes mêmes sont des réalités. Nous pouvons donc dire que tout ce que nous distinguons ou comparons avec vérité, la nature le distingue ou le fait convenir aussi, quoiqu’elle ait des distinctions et des comparaisons que nous ne savons point et qui peuvent être meilleures que les nôtres. Aussi faudra-t-il encore beaucoup de soin et d’expérience pour assigner les genres et les espèces d’une manière assez approchante de la nature. Les botanistes modernes croient que les distinctions prises des formes des fleurs approchent le plus de l’ordre naturel. Mais ils y trouvent pourtant encore bien de la difficulté, et il serait à propos de faire des comparaisons et arrangements non seulement suivant un seul fondement, comme serait celui que je viens de dire, qui est pris des fleurs, et qui peut-être est le plus propre jusqu’ici pour un système tolérable et commode à ceux qui apprennent, mais encore suivant les autres fondements pris des autres parties et circonstances des plantes, chaque fondement de comparaison méritant des tables à part ; sans quoi on laissera échapper bien des genres subalternes, et bien